LE MEURTRE DES AGENTS EDF:
" Une heure du matin, nous faire déplacer à une heure du matin ! C’est n’importe quoi, ce boulot n’est plus ce qu’il était ! ! ! "
Bien qu’il soit à moitié endormi, Stéphane était de mauvaise humeur. S’il adorait son travail chez EDF, il détestait être dérangé à une heure du matin, pour partir à la recherche des causes d’une étrange panne d’électricité. Jean, son coéquipier, plus âgé, était aussi beaucoup plus serein :
" Calme-toi, en vingt ans de boulot, c’est la première fois que je dois me déplacer dans ces conditions. Que veux-tu, La Cluse est privée d’électricité et l’usine du Père Rovin doit tourner, sinon ....... "
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que la C.B. se mit à crépiter, le centre voulait savoir où ils en étaient. Mais ils n’avaient encore rien trouvé.
C’était une de ces froides nuits d’hiver, où toute la région est glissée sous la neige et où la lune pleine donne une luminosité presque magique à la nature assoupie. Jean et Stéphane étaient chargés d’inspecter les fils électriques qui couraient dans le marais, au bas du Fort de Joux. L’un d’eux avait dû être détérioré , car, depuis un moment déjà, le bourg avoisinant était privé d’électricité. La voiture bleue d’EDF, un vieil express dont le moteur faisait un bruit de casserole, venait de s’immobiliser à l’entrée d’un chemin boueux qui s’enfonçait dans les marais. Toujours grommelant, Stéphane descendit du véhicule. Jean, lui, leva les yeux vers l’imposante forteresse qui les toisait depuis son promontoire rocheux.
" Ce machin-là me glace le sang ! laissa-t-il échapper.
- Tu parles, reprit Stéphane, en regardant à son tour le château, ce ne sont que quelques vieilles pierres.
- Oui, tu as sans doute raison, mais toutes ces histoires de tombeau qui aurait été découvert, cela me met mal à l’aise.
- Ah ça, je n’y crois pas trop , reprit Stéphane, d’après les bruits qui courent, ce serait un machin unique, du jamais vu, et patati, et patata, une grosse arnaque oui ! ! ! Tu verras avec le temps que j’avais raison "
Tout en parlant, les deux hommes s’étaient engagés sur le petit chemin et marchaient maintenant au beau milieu des marais. La neige rendait difficile leur progression et ils veillaient à ne pas sortir du chemin, l’endroit n’était pas sûr, le sol souvent instable. La lune pleine éclairait suffisamment les lieux pour qu’ils n’aient pas besoin de leur torche. Ils atteignirent bientôt les premiers pylônes électriques et commencèrent à scruter les fils à la recherche d’une anomalie. Celle-ci ne fut pas longue à trouver : cent mètres devant eux, un des fils était coupé net et tombait par terre.
" Ben merde ! laissa échapper Jean qui pourtant n’était pas un coutumier de ce type de langage, qu’est-ce qui a pu provoquer cela ?
- Je n’en ai pas la moindre idée, répondit Stéphane abasourdi, mais de toute façon, on ne peut pas réparer comme ça , retournons à la voiture et demandons du renfort. "
Les deux hommes eurent tôt fait de faire demi-tour, Stéphane marchait à deux mètres devant, comme s’il avait eu un pressentiment. Il ne se sentait plus du tout tranquille et l’ombre de la forteresse le mettait désormais lui aussi très mal à l’aise. Et puis, un bruit sourd retentit derrière lui, accompagné d’un juron. Aussitôt, Stéphane pensa que Jean avait trébuché. Il se retourna pour voir ce qu’il en était, mais là, un rictus d’horreur vint figer son visage.
LES FOUILLES AU FORT DE JOUX :
" Continuez à pousser ! ! " hurla le professeur Prainyou très excité par ce qu’il allait trouver de l’autre côté de cette vieille dalle . Il y avait des années , et il avait l’impression des siècles, qu’il espérait faire une découverte qui le rendrait célèbre, dans le petit monde très fermé des universitaires, des historiens et des archéologues. Alors, c’est sans hésiter qu’il s’était précipité sur ces recherches dans cette vieille forteresse perdue dans un coin de la France et dont tous les secrets n’avaient pas été dévoilés. Tout avait commencé un an auparavant, en juin 1992, par un article anodin dans un journal local qui annonçait l’ouverture au public d’archives militaires de la région datant de la première guerre mondiale. Parmi elles, figurait toute une série de plans sur les fortifications dans le Doubs et, plus particulièrement sur les alentours de Pontarlier . Cette petite agglomération de 18.000 habitants, capitale du Haut Doubs, est située à proximité de la frontière helvétique . Au Sud-Est de la ville se trouve une cluse qui fut , pendant longtemps, le point de passage obligé pour se rendre en Suisse.
Aux alentours de l’an 1000 , fut construit sur un des deux versants, un château dont les seigneurs rançonnaient tous ceux qui passaient la cluse . Très vite, ils furent craints dans la région et les gens tremblaient à la seule évocation des Sires de Joux. Le jeux des alliances, les mariages et les filiations plus ou moins heureuses firent disparaître la lignée . En 1454, le château fut racheté par Philippe le Bon, duc et comte de Bourgogne et la seigneurie fut rattachée à la puissante maison. La forteresse échoua finalement à Charles Quint, roi d’Espagne, l’un des plus puissants souverains que connut le 16eme siècle.
En 1678, lorsque la Franche-Comté devint française, arrachée aux Espagnols par les guerres de Louis XIV, le château était, depuis longtemps, une forteresse militaire. Sa situation stratégique en faisait un maillon essentiel de la défense régionale. Ce n’est que sous la monarchie de Juillet que, les progrès de l’artillerie aidant, le fort de Joux ne fut plus suffisant. Il était menacé par d’éventuels tirs de canons placés sur l’autre versant de La Cluse, c’est pourquoi il fut décidé de construire un second fort, appelé Malher, en face du premier. Une légende circulait dans la région, selon laquelle un tunnel reliait les deux forts, et l’ouverture des archives militaires vint la conforter.
En effet, en 19O5, le général responsable de la région aurait, d’après les documents, reçu l’ordre de creuser entre les deux forts, un tunnel. Malheureusement, parmi les plans ne figuraient que des projets, rien de définitif. Une seule chose était sûre : en 1914, le tunnel n’était pas fini. Seulement, cette révélation suffit à réveiller les passions. Le professeur Prainyou, voyant ici sa chance, se battit comme un diable pour obtenir l’autorisation de faire des recherches. A peine celle-ci accordée, il s’était mis au travail, et ce, bien que ce fut l’hiver, et donc pas forcément au meilleur moment de l’année pour mettre en œuvre un tel chantier.
Entouré d’une équipe d’étudiants qu’il avait directement importée de la faculté de Dijon où il enseignait, il avait entrepris de fouiller méthodiquement le fort Malher, les rares esquisses que lui avait communiquées le Ministère de la Défense, laissaient en effet supposer que c’est de là que les travaux avaient été entrepris. Complètement abandonné depuis la fin de la seconde guerre mondiale, Malher présentait l’aspect d’une ruine. L’enthousiasme qui caractérisait l’équipe les premiers jours eut tôt fait de retomber face aux difficultés. Nombreux étaient les souterrains complètement inondés et dont l’exploration était impossible. Quand aux endroits accessibles, victimes du temps, ils menaçaient souvent de s’écrouler. Deux membres de l’équipe furent d’ailleurs blessés par une pierre qui s’était détachée d’un plafond. A partir du quatrième jour, la neige s’était mise à tomber, ce qui rendait encore moins agréables les conditions de travail, et au bout de deux semaines, il n’y avait aucun résultat.
Prainyou décida de changer sa méthode. Abandonnant pour un temps les recherches sur le terrain, il avait tenté de rassembler tous les documents possibles sur le sujet, mais étonnamment, il y en avait très peu et certains qui pourtant étaient référencés avaient disparu. Cela était toutefois sans compter avec l’étonnante persévérance du professeur qui finit par découvrir une série de plans signés d’un ingénieur appelé Nief et qui avait dû travailler au fort de Joux à l’époque . Il mit plusieurs jours à les étudier soigneusement et l’un d’eux lui apporta la révélation. A Joux, il existe un puits qui, démarrant dans les souterrains du château, descend à plus de 120 mètres. L’un des plans de Nief montrait une coupe de ce dernier avec à mi hauteur, le dessin d’un tunnel partant en direction de la Cluse et donc du fort Malher. Bien que le plan ne comportât aucune autre indication que le nom de Joux, Prainyou fut de suite convaincu qu’il tenait sa solution.
On descendit donc dans le puits, avec l’aide d’un club local d’escalade. On se contenta d’abord de scruter la paroi sans rien y découvrir, ce fut une nouvelle déception pour l’équipe, sans doute les plans de Nief n’avaient ils jamais été mis en œuvre. Et puis, l’un des étudiants un peu plus observateur que les autres, remarqua, à peine plus bas que l’endroit où, sur le plan, était censé démarrer le tunnel , que certaines pierres n’étaient pas tout à fait de la même couleur. Ayant fait part aux autres de cette étonnante remarque, il fut décidé de faire une dernière descente. Tous s’agglutinaient au-dessus du puits, suivant des yeux la lente progression de leur camarade. Arrivé à l’endroit voulu, il se balança légèrement afin de s’approcher de la paroi qu’il parvint à agripper. Il y planta, entre deux pierres, un mousqueton dans lequel il passa sa corde et se trouva de fait en bonne posture pour observer le mur. Très vite, il laissa échapper un cri de victoire. Ne pouvant pas attendre d’être ressorti pour faire partager sa joie, il hurla depuis le fond :
" Nous le tenons, les pierres ici ne sont pas d’origine, cette partie de la paroi est plus récente ! "
Dans les jours qui suivirent, il fut installé, dans le puits, une plate-forme qui bouchait complètement ce dernier et à laquelle on accédait grâce à une échelle. Puis on démonta soigneusement toutes les pierres suspectes. Apparut alors, derrière, l’amorce d’un tunnel, semblable en tous points à celui qui figurait sur les plans de Nief. Mais la joie fut du courte durée, au bout de quelques mètres, il se terminait par une dalle en béton solidement fixée." Continuez à pousser ! ! " hurla le professeur Prainyou. Et toute l’équipe comme un seul homme, redoubla d’efforts pour faire bouger la dalle espérant découvrir derrière la continuité du tunnel. En vain, elle ne trembla même pas. Bientôt, totalement découragés, ils renoncèrent, décidant de revenir le lendemain, avec des outils plus appropriés. La nuit leur parut interminable, et à l’aurore, tout le monde était sur le pied de guerre. Après s’être assurés que la dalle ne présentait aucun intérêt historique particulier, armés de masses, ils commencèrent à la frapper violemment. Une bonne heure fut nécessaire avant qu’elle ne cède enfin. Dans un premier temps, la déception de toute l’équipe fut grande. Au-delà de cette dernière, ne se prolongeait pas le tunnel, mais se trouvait une petite pièce rectangulaire, aux angles arrondies, d’une vingtaine de mètres carrés. Cependant, à peine avaient-ils pénétré à l’intérieur, que le professeur Prainyou et son équipe comprirent que la découverte qu’ils venaient de faire était plus importante que ce qu’ils cherchaient. Les murs de la pièce avaient été gravés de symboles et de textes en latin. Au milieu de celle-ci se trouvait un autel, sur lequel gisait le squelette en piteux état de ce qui avait dû être autrefois un homme.
Visiblement, le tout était très ancien, y compris les restes de récipients en bois qui gisaient dans un coin. Cette pièce devait être un tombeau, un tombeau d’un type unique dont il allait falloir déterminer l’identité du pensionnaire. Prainyou connaissait enfin son heure de gloire.
DEJA DE PAR LE PASSE:
DECEMBRE 1932
" Voilà une semaine que je suis bloqué par la neige dans ce fort immense, complètement seul… Je refais de nouveau des cauchemars depuis avant hier, depuis que je suis retourné auprès du puits pour voir si tout était en ordre. Je me suis penché au dessus du vide, il est impressionnant, plus de 120 mètres. J’ai entendu cette voix de nouveau Elle venait du fond, j’en suis sûr, elle m’appelait, il faudra à un moment ou un autre que j’en aie le cœur net. Vu que je suis seul bloqué ici et que mes tours de garde ne me prennent pas beaucoup de temps, j’en ai profité pour continuer à étudier l’histoire de ce château , je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le sentiment que c’est là que je trouverai une solution. Les textes que j’ai découverts concernant une petite tour située sur la partie Nord Ouest de l’édifice et que l’on nomme ‘la tour du diable’ me laissent à penser qu’elle joue un rôle dans tout cela. En 1843, lors des réparations de cette dernière qui avait été ruinée par un siège en 1814, il y a eu plusieurs morts inexpliquées, mais ce n’est pas le plus curieux, en effet… "
Il y eut un bruit, comme un courant d’air, puis un son de verre brisé. Lucien cessa d’écrire, il redressa la tête, chercha au travers de la fenêtre, dans l’obscurité qui entourait le château, aux aguets. Mais plus rien, il se remit à écrire : " En effet, le …. " . Encore le même bruit. Lucien s’arrêta de nouveau, il se leva, et s’approcha de la fenêtre. De gros flocons de neige venaient lécher les vitres, derrière il y avait l’ombre du fort, un immense château coupé du monde et dans lequel il se trouvait seul. Il regarda l’heure sur la pendule : 11h30. Il aurait dû faire une ronde il y a plus d’une demi-heure. Il se dirigea vers la porte et sortit dans une petite cour. La nuit était complète, pas une lueur, pas un rayon de lune et des milliers, des centaines de milliers de flocons de neige attirés par le sol. Il retourna chercher une lanterne et revint dans la cour. La flamme vacilla. Le froid se fit agressif. Il traversa une arche, remonta en direction de la porte d’honneur. Les immenses murailles mangeaient l’espace ; au loin, le donjon, vide de toute âme, découpait la nuit.
Lucien franchit la porte d’honneur, il se retrouva sur un pont avec à sa droite une tour énorme en forme de fer à cheval et à sa gauche le ravin. Tout était calme et puis, il la vit, au fond du ravin, contre la paroi, là où s’ouvrait un tunnel qui s’enfonçait dans les entrailles de la forteresse. Cela ne dura pas longtemps, une seconde, peut être deux, mais cela fut suffisant . Une lumière, un court éclat rouge et vacillant, comme une étincelle géante. Lucien revint sur ses pas. Dans la petite cour où il se trouvait tout à l’heure, il y avait un escalier qui descendait dans le fossé et permettait d’accéder au tunnel. Il l’emprunta. Ses deux pieds s’enfoncèrent dans la neige, il avait du mal à avancer , il était frigorifié. D’abord, il ne faillit pas les remarquer, mais en voulant baisser sa lampe pour éclairer son chemin, il aperçut des pas gravés dans le sol blanc. N’était il pas seul ? Il ouvrit la grille qui interdisait l’ accès au tunnel et s’y engagea. Il n’y avait plus la neige pour gêner son avancée, mais le froid était, lui, toujours là. La lanterne laissait dans l’ombre de nombreux coins et recoins et n’importe qui aurait pu s’y dissimuler pour y attendre la proie facile qu’était Lucien. Il arriva dans une pièce un peu plus grande. Elle était taillée à même le roc, en son centre s’ouvrait un puits si profond qu’il aurait pu rejoindre les enfers. Malgré la peur qui le tenaillait désormais, il s’en approcha et s’y pencha :
" Approche …viens…. " chanta le vent avec une telle netteté que Lucien eut l’impression que quelqu’un lui susurrait ces mots à l’oreille. Il fit un bon en arrière et demeura un court instant immobile. Et puis, abandonnant cet endroit sordide, il regagna l’extérieur.
La neige tombait toujours. Ayant rejoint la petite cour, il retrouva son bureau, s’y enferma à double tour , barricada la porte, boucha les fenêtres. Il arma son fusil et le posa à coté de lui. Il termina d’écrire le texte qu’il avait commencé avant de sortir puis gagna son lit. Bien qu’il eût dû faire d’autres tours de garde dans la nuit, il ne quitta plus son logement avant le jour.
La matinée était grise, la neige tombait encore, mais à la lueur du jour, le château était bien moins impressionnant. Lucien n’avait qu’une idée : mettre les skis et regagner la civilisation au village de la Cluse, au moins pour la journée. Sur le coup des onze heures, alors qu’il s’apprêtait à partir, la neige cessa de tomber et un rayon de soleil déchira les nuages. Il avait déjà chaussé ses skis et ouvert la lourde porte en fer, mais comme il s’apprêtait à la refermer derrière lui, il se ravisa. Rendu sans doute plus courageux par cette nouvelle luminosité, il décida qu’avant de partir il devait en avoir le cœur net. Il se déchaussa, et retourna au puits. Il s’y pencha, mais rien ne se produisit. Alors, sans que lui même ne sache vraiment pourquoi, ni comment, il sentit le besoin de descendre pour voir. Ayant pris une corde dans la réserve, il fixa solidement une des extrémités à une barre de fer qui sortait du mur, et jeta l’autre dans le vide. S’accrochant alors à pleines mains, il s’y laissa glisser.
Une onde légère déforma les parois, elle les parcourait comme une vague parcourt la surface de la mer et puis d’un seul coup, elle devint plus grande et plus acérée. Lucien eut juste le temps de crier. Sa tête fut coupée net et propulsée hors du puits, tandis que son corps disparaissait dans les abîmes.