LE SONNEUR DE LA CLUSE.....
La nuit de juin planait sur le petit village de la Cluse-et-Mijoux. Les rues étaient désertes, seuls, les éclairages publics encombraient les trottoirs. L’ombre du fort de Joux, situé sur l’un des versants de La Cluse, semblait veiller au sommeil du petit bourg. Il y eut un léger tintement, un son presque inaudible qui très vite s’amplifia. On put rapidement reconnaître une petite cloche et, bientôt, le tintement fut accompagné d’une image. En effet, une ombre apparut au milieu de la rue. Elle était vêtue d’une robe de moine, la tête recouverte par la capuche. Elle semblait sortir de nulle part et avança lentement jusqu’à passer sous un lampadaire. Une lumière s’alluma dans la chambre d’une maison voisine. Sans doute, son occupant avait-il été réveillé par le bruit de la clochette. Le volet grinça et une tête apparut dans l’ouverture de la fenêtre : “Cela ne va pas, non ? Vous avez vu l’heure ? ” hurla l’homme. L’ombre ne sembla pas troubler par cette intervention, elle continua à agiter sa petite clochette, ce qui mit l’homme dans une colère noire : “ SI TU NE TE CALMES PAS, JE VAIS DESCENDRE ET M’OCCUPER DE TOI !!! ” Le sonneur fit taire son instrument, l’homme referma le volet, quelques secondes plus tard, la lumière s’éteignait dans la chambre. A ce moment, seule dans la rue, l’ombre leva la tête, bascula sa capuche révélant une face sans visage et seulement habitée par deux yeux globuleux d’un rouge vif. Elle poussa un cri guttural, ce n’était pas un simple cri de douleur, un simple hurlement d’angoisse. C’était un appel dans une langue incompréhensible, un mélange de gothique, de latin, de mots étranges et indéfinissables. La lumière se ralluma dans la chambre, le volet s’ouvrit de nouveau et l’homme, fou furieux, réapparut à la fenêtre, il s’apprêtait à crier mais resta bouche bée devant le spectacle qu’il découvrit. Dans la rue, l’ombre semblait se dissoudre lentement, son appel apparaissait de plus en plus comme un cri de douleur, comme un appel au secours. Son visage se boursouflait, de grosses cloques naissaient à divers endroits de sa face, elles gonflaient lentement, puis éclataient, donnant l’impression d’un liquide que l’on porte à ébullition. Ce répugnant phénomène se produisait également sur ses mains. Bientôt, le crâne fut à vif, un des yeux tomba de son orbite, éclata en percutant le sol et laissa échapper une fumée blanche. L’ombre semblait affolée, en se débattant, elle déchira sa robe, révélant son corps atteint des mêmes boursouflures, à chaque bulle qui éclatait, quelques gouttes d’un étrange liquide tombaient au sol, elles fondaient littéralement, laissant sur place une flaque noire, visqueuse, juste sous la lumière du lampadaire. D’autres volets s’étaient ouverts et d’autres habitants de La Cluse contemplaient, terrifiés, le spectacle. Bientôt le sonneur ne fut plus qu’une simple tache sur la route. Cette dernière s’infiltra lentement dans le sol, ne laissant aucune trace de cet étrange spectacle. Une très légère brume, qui, quelques minutes avant l’arrivée de l’étrange personnage, avait envahi les rues du village, se dissipa rapidement.
Hallucination collective...
L’Abbaye de Montbenoît est riche de son passé et elle attire quotidiennement de nombreux visiteurs. Le guide présent, un étudiant en histoire, connaissait l’édifice par cœur et parvenait parfaitement à communiquer son enthousiasme aux touristes. Pour accéder au clos, qui est un des lieux capitaux de la visite, il invita ses clients à traverser un petit couloir relativement étroit et sombre, mais aussi, et c’est la première fois qu’il le remarquait, mal odorant. Des relents acides de pourriture envahissaient l’endroit, exactement comme si l’on avait laissé dans un coin une charogne. Le guide s’en inquiéta intérieurement et se promit d’en informer les autres, mais il fit comme si tout était normal vis-à-vis des visiteurs. Il remarqua cependant que ces derniers étaient également indisposés par l’odeur. Tous furent soulagés d’arriver enfin dans le clos et de pouvoir respirer l’air frais, mais cette satisfaction laissa bien vite la place à une terreur incontrôlée. En effet, au lieu de voir le soleil en arrivant dehors, il furent plongés dans l’obscurité d’une nuit sans lune. Une brume flottait entre le ciel et la terre. Le clos était éclairé par des torches disposées aux quatre coins et par d’énormes flammes qui léchaient les murs de l’Abbaye. Des hommes et des femmes complètement nus couraient en hurlant pour tenter, en vain, d’échapper au feu qui les transformait en torches humaines et, au milieu de ce spectacle hallucinant, se tenait un prêtre en robe de bure, la tête recouverte d’une capuche qui lui cachait le visage. Totalement immobile, l’ecclésiastique ne semblait pas le moins du monde troublé par les événements qui se passaient autour de lui. Quand aux victimes, bien que courant dans tous les sens, pas une ne s’en approchait, exactement comme si un champ de forces l’entourait, rendant impossible tout contact. Une des torches humaines changea soudainement de direction et fonça sur le groupe, cet événement tira les membres de ce dernier de la stupeur qui les paralysait, tous se précipitèrent vers la porte par laquelle ils étaient arrivés, mais cette dernière était bloquée. Une panique sans nom s’empara de chacun d’eux.
L'inquiétude du commissaire.
Dans sa robe de mariée, Nadia ne resplendissait pas : elle brillait ! Elle portait un large jupon, couvert de frou-frou, comme un gâteau peut l’être de chantilly, un bustier brodé, orné de dentelle et largement décolleté qui épousait son corps avant même qu’elle ne fût mariée et un long voile qui cachait ses cheveux. Ce n’était pas une robe, c’était un songe de fillette. Elle avait voulu tous les artifices, tous les ingrédients du conte de fée. Qui aurait pensé que cette jeune femme fière et indépendante pouvait rêver d’un mariage de princesse ? Le commissaire l’observait depuis le fond de la salle où devait être célébrée la cérémonie civile. Elle semblait flotter entre les invités, adressant à chacun d’eux un sourire, un mot de bienvenue. Elle paraissait si douce. Il l’avait connue si arrogante, si désagréable, c’était une véritable métamorphose en peu de temps. Oh bien sûr, depuis la fin de “ l’affaire ”, il les avait revus, Paul et elle, mais c’était seulement maintenant qu’il prenait pleinement conscience de ce changement d’attitude. Lodes avait su adoucir la jeune femme ambitieuse. Jacques se souvint avec amusement du jour où il les avait surpris tous les deux dans le tombeau et, en repensant à ce lieu maudit où ils avaient livré un combat à mort, il ne put s’empêcher de faire un parallèle inquiétant avec les événements arrivés récemment dans la région. Il fit un pacte avec lui-même: pas question de parler de cela à ses amis aujourd’hui, pas question de leur gâcher leur fête. Paul s’approcha de lui et l’embrassa au sens premier du terme, puis tout en laissant sa main droite sur son épaule, se recula pour lui adresser un sourire : “Cela me fait vraiment plaisir que tu sois là ! - Moi aussi Paul, je suis très honoré d’être ton témoin… - Comment ça va à part cela, le boulot ? - Tout va très bien, répondit le commissaire sans conviction, Paul le remarqua : - Tu penses encore à Flavien ? - Pas toi ? - Si bien sûr, je crois que j’y repense chaque matin, chaque soir et que j’en rêve chaque nuit, nous n’aurions jamais dû le laisser seul. - Ce qui est insupportable, c’est de ne pas savoir ce qu’il est devenu, pas de corps, pas de trace, pas le moindre indice. C’est vrai que j’ai beaucoup de mal à accepter sa disparition, surtout après ce que nous avons vécu. J’ai même, dernièrement, chargé un de mes collaborateurs de réexaminer le dossier, mais cela ne semble rien vouloir donner. - C’est insupportable ! - Et si… - Et si quoi ? - Si Amaldricus… ” Paul se crispa d’un seul coup, exactement comme si Jacques avait prononcé un mot interdit, capable à lui seul de provoquer une douleur insupportable. “ Amaldricus est mort, nous l’avons tué, tu étais là, j’étais là, Nadia et Flavien également, personne ne pouvait échapper à l’explosion, tu le sais très bien, tu sais également que sa vie était étroitement liée à celle de cette pièce que nous avons détruite, tu as lu la légende, comme moi ! - Peut-être l’avons-nous sous-estimé, ce n’était pas quelqu’un d’ordinaire et… - Et rien ! Il est mort, j’ai vu les pierres l’ensevelir, même un Rom-Hak ne peut pas survivre à cela, il n’a plus fait parler de lui depuis deux ans, il n’y a plus eu le moindre meurtre, je ne sais pas ce qui est arrivé à Flavien, peut-être a-t-il simplement voulu changer de vie, peut-être est-il devenu cinglé, je ne crois pas que l’on sorte indemne d’une telle histoire, mais je suis certain qu’Amaldricus n’y est pour rien ! - J’espère que tu as raison. ” Jacques semblait très inquiet en disant cela et Paul lui posa la main sur l’épaule pour le rassurer, il avait retrouvé son calme : “Mais oui, j’ai raison, assez parlé de ces mauvais souvenirs pour aujourd’hui ! C’est mon mariage, prenons du bon temps ! ” Comme il finissait sa phrase, l’officier d’état civil en charge de célébrer la cérémonie faisait son entrée dans la pièce et invitait chacun à prendre place.