La première
Dame de la Mort
C ’est une de ces histoires étranges aux racines ancrées dans la réalité et au sommet flottant avec l’imaginaire. Un de ces récits fantastiques où se côtoient le meilleur et le pire, le bien et le mal : c’est une légende qui nous raconte la mort.
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La forêt était enneigée, aucune trace de pas ne marquait le sol blanc, aucune trace de vie et de chaleur ne luttait contre le vent glacial. Quelques flocons tombaient lentement et le froid violent régnait. Et puis il y eut un cri, transperçant le silence, un hurlement de femme qui souffre. Il s’échappait d’une petite grotte encastrée dans une falaise semée par erreur au milieu de cette étrange forêt. La femme était grande et belle, avec de longs cheveux noirs, elle était allongée, nue, à côté du feu qui brûlait dans la grotte. Ces deux seins superbes pointaient vers le ciel; elle avait les pieds repliés sous les fesses et les jambes écartées. Son ventre tout rond s’apprêtait à donner une nouvelle vie. Un second cri vint accompagner celui de la femme ou plutôt le remplacer. Les pleurs de l’enfant qu’elle venait de mettre au monde témoignèrent que l’accouchement s’était bien passé. Elle eut un léger sourire et ramena le bébé vers elle.
« Mon fils, dit-elle, que de grandes choses t’attendent, toi qui n’aurais jamais dû exister, toi dont on disait que la naissance était impossible. Combien de prières ai-je adressées aux dieux, combien d’explications de mes buts ai-je dû leur donner. Mais tu es là aujourd’hui…mon dieu…il te faut un nom, je dois te trouver un nom.. »
La jeune femme ferma les yeux pour réfléchir :
« Il n’y a qu’un nom pour toi, un seul que je puisse te donner : PARADOX….
L’enfant qui venait de se calmer parut intrigué par le collier que sa mère portait autour du cou, il tendit ses mains pour jouer avec. C’était un petit collier en argent avec un pendentif représentant deux faux croisées. Paradox fit son premier sourire.
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Le voleur d’existence
Hiver 1101. La neige tombait en flocons agiles et le chemin de terre était depuis bien longtemps recouvert. Juste quelques traces laissées par les voyageurs précédents, permettaient aux très rares passants de ne pas s’égarer. De plus, la nuit était tombée et la lune, qui parvenait parfois à se faufiler entre les nuages, était belle et bien la seule source de lumière. Pourtant cela ne semblait pas déranger le vieillard qui avançait d’un pas assuré tout comme si la nuit avait été son alliée et même son refuge. Les cris qui sortaient de la forêt ne paraissaient pas le moins du monde l’effrayer. Le vieillard, au contraire, jouait avec en leur répondant. Bientôt, le chemin quitta les bois pour arriver dans une grande plaine terminée par une cluse. Au pied de celle ci, il y avait un petit village que dominait un énorme château fort. Quelques rares lumières montaient vers le ciel, la majorité des gens devaient dormir car, à l’opposé de la forêt, un silence oppressant régnait sur la plaine. Pourtant, en tendant l’oreille, en essayant de percer ainsi l’opacité sonore, on pouvait entendre un léger bruissement. Il était composé de fragments de rires et de chants qui provenaient de la forteresse. Visiblement, le seigneur du coin, lui, festoyait. Le vieillard eut un sourire, il tenait sa prochaine victime. Il reprit sa longue et pénible marche, jusqu’à ce qu’il atteigne la porte du château. Celle-ci était close, le vieillard la frappa de sa grande main décharnée. Une petite lucarne s’ouvrit, laissant apparaître le visage d’un garde :
« Qu’est ce que c’est ?
- Je suis troubadour, et je cherche un logis pour la nuit en échange de mes services….
- Vous n’êtes pas bien ou quoi ? Nous ne faisons entrer personne dans le château à une heure aussi tardive.
- Mais votre seigneur fait la fête, sans doute serait-il heureux de s’attacher mes services.
- Tu es sourd le gueux ou quoi, je t’ai dit de passer ton chemin. »
Et sans attendre d’autre réponse, le garde referma la lucarne. Le vieillard ne se formalisa pas, aucun sentiment de colère ou de déception n’affecta son visage. Il s’éloigna d’une centaine de pas du château et s’installa en tailleur à l’abri d’un bosquet Ses deux yeux se fermèrent et il resta ainsi, sans bouger, pendant de nombreuses heures.
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Une goutte de sang, une goutte de sueur
Une goutte de sang glisse sur son front noir. La douleur s’attaque maintenant à ses sens ; Les sons ne sont que de lointains échos, les images d’épais brouillards aux formes indéfinies. Son nez enflé ne capte plus aucune odeur si ce n’est de temps à autre, furtivement, l’insupportable mélange de sueur et d’after-shave de son implacable bourreau. Enfin, seul le goût de son propre sang emplit sa bouche pâteuse qui pourtant s’obstine à ne plus prononcer la moindre parole. Il ne sait pas depuis combien de temps il est là sur cette chaise inconfortable, les mains liées dans le dos. Il n’a qu’un vague souvenir du visage de celui qui le frappe entre deux questions auxquelles il ne répond pas. Il se raccroche à son idéal, à son combat, celui-là même qui l’a conduit dans les caves de la police d’état.
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Le Mélomane
Un bruit soudain dans un silence de mort, cela a toujours tendance à stresser. Et si, en plus, la scène se déroule dans le quartier le plus mal famé d’une grande ville, et en pleine nuit, le stress devient carrément de la peur. Imaginez, quelle a pu être l’angoisse de la jeune femme, quand, en traversant le parc municipal, elle a entendu ce bruit de verre brisé. Son premier réflexe a été de se retourner, mais bien sûr, rien n’était visible. Alors, elle a repris son chemin feignant l’indifférence, mais son pas s’était accéléré. Elle était grande, les cheveux bruns et courts et le visage inquiet. Son cœur battait très vite sous l’épais pull en angora bleu qu’elle s’était acheté le jour même, de plus en plus vite, à tel point qu’elle l’entendait distinctement et puis, elle réalisa que le bruit était trop fort pour que cela puisse venir d’elle, non, ça c’était des pas. C’est sans doute la dernière pensée qui lui traversa l’esprit, un bras vint la saisir à l’épaule et un tesson de bouteille lui trancha la gorge. Elle s’écroula, son assassin se tenait debout devant le cadavre, il avait fermé les yeux et balançait ses doigts lentement, comme pour marquer le rythme d’une musique qu’il aurait été le seul à entendre. Au bout de cinq minutes, l’homme sortit de sa poche un petit carton qu’il jeta négligemment sur le corps de la pauvre femme, enfin , il s’éloigna.
Une pluie fine se mit à tomber, les gouttes d’eau frappaient le front de la jeune victime, glissaient lentement pareilles à une larme le long de sa joue, puis finissaient cette course entre les lèvres entrouvertes de la morte, mais malgré ce breuvage….
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Le train de Volchenberg
Premier jour.
D’un trait, comme s’il s’était agi d’un peu d’eau pure, Vladimir vida le vin et reposa le petit ballon sur le bar en poussant un soupir des plus impolis qu’il soit.
« Je te remets la même chose Vlad ? » demanda Carlos, le propriétaire des lieux qui avait toujours su bien traiter sa clientèle
- Ouais ! » répondit l’autre en tendant son verre comme le mendiant tend sa casquette pour quémander quelque argent. Avec son mètre quatre-vingt-dix, ses épaules larges comme deux armoires côte à côte et son visage joufflu caché derrière une épaisse barbe rugueuse que surmontaient deux yeux globuleux aux vaisseaux teintés d’un rouge agressif, Vladimir Cocheq était au village de Volchenberg, ce que le colosse était à Rhodes. Un impressionnant symbole, certes, mais une toute petite chose face aux colères de la Méditerranée, et pour Cocheq, la mer déchaînée prenait la forme d’une bouteille de vin blanc. Carlos Hernandez, qui possédait le seul débit de boisson du village, connaissait bien le petit défaut du géant et il savait qu’il avait tout intérêt à l’entretenir car, sur un mois, le brave Vlad, comme le nommaient tous les habitants du coin, rapportait à lui seul presque autant que la moitié des ouvriers qui travaillaient dans la mine voisine. C’était encore plus vrai pendant les longs hivers, lorsque Vladimir, bûcheron de son état, ne pouvait pas travailler à cause de la neige. Il arrivait en général au café à l’ouverture, s’absentait une ou deux heures sur le temps du midi et finissait la journée accoudé au bar à échanger avec Carlos. Il est vrai qu’en ce début de vingtième siècle, il n’y avait pas beaucoup d’activité dans la région. Perdu dans les Alpes suisses, coupé du monde six mois sur douze à cause de la neige qui barrait l’unique route d’accès à la vallée, Volchenberg avait été, une trentaine d’années plus tôt, victime d’un miracle.
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